Le Sentier des Justes en Christ

Le Sentier des Justes en Christ

Chapitre quatre 4.6

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 Il se tait encore un instant et poursuit : 

 

- Jamais, je ne pourrais oublier cette matinée ni expliquer ce qui s'est passé dans mon être quand une profonde tristesse m'a saisi au point d'en pleurer. Ne pouvant rien faire d'autre que d'obtempérer à ce qui me conduisait, je me suis rendu au port et l'ai trouvé en train de s'enivrer. Il n'était que dix heures, mais il avait terminé sa bouteille. Il était assis sur le quai, les pieds sales dans des baskets répugnantes. Je l'ai salué et il m'a regardé comme si j'étais un être irréel. Je lui ai demandé si je pouvais m'asseoir à ses côtés et il m'a répondu : 

- Si tu savais vieux qui je suis, tu ne prendrais pas la peine de m'approcher ! 

- Il avait raison, sa saleté m'écœurait et je ne me voyais pas prendre place à ses côtés, mais je le fis. Je ne me reconnaissais pas. J'aimais cet homme sans pouvoir m'en expliquer la raison. J'aurais voulu le repousser, mais je l'aimais... ô combien. Je l'aimais Soraya… il était répugnant, mais je l'aimais si fort  et lui ironisait : 

- Tu vas salir ton costard Prince-de-galles vieux, si tu t'assieds à côté du pire picolo ! 

Ensuite il a commencé à raconter des histoires sans sens quand soudain, il se mit  à me narrer sa chute en la revivant. Sans le réaliser, il m'a révélé l'ampleur de ce que personne ne pourrait jamais imaginer. Aujourd'hui encore, j'ignore pourquoi le matin de ce rendez-vous curieux j'étais là, mais je sais que c'était moi qui devais y être et personne d'autre. Ses confidences ignobles m'ont été offertes comme un secret d’État. J'avais tellement honte de ce qu'il a subi  que je me suis surpris en train de pleurer en lui ôtant son pantalon et son pull pour lui enfiler mes propres effets. Comme si ainsi, j'avais pu le laver de ce qu'il avait enduré ! Nous étions tous deux en caleçon, mais ma réputation et le qu'en-dira-t-on n'existaient plus. Pendant que les passants se demandaient si je n'étais pas fou, j'ai continué de m'occuper de lui sans m'attacher aux ragots qui allaient alimenter les médisances des jours prochains. J'avais une telle fierté à lui enfiler mes mocassins que plus rien n'avait d'importance. En me chaussant des puanteurs qu'il avait aux pieds et en portant ses vêtements poisseux, c'était comme si je m'habillais de son ignominie. En vérité, rien ne remplacera jamais sa main, car il était gaucher… j'avais un besoin violent de lui redonner le goût de vivre, mais j'ignorais de quelle façon. Finalement, c'est lui qui m'en fournit la réponse quand il me dit droit dans les yeux et en plaisantant sur son sort : 

-  «C'est le Dieu de mes parents qui t'a envoyé vers moi, hein ? Il est le seul à savoir que je vais me jeter dans la mer aujourd'hui après m'être saoulé comme un damné ! » 

En finissant sa phrase, il riait, mais ses yeux pleuraient. Pour lui, la vie était finie et il voulait qu'elle se termine au milieu des flots, là où il avait vécu en harmonie avec la nature ! 

 

         Deveniez s'arrête un instant pour cacher son émotion, puis reprend son récit : 

- J'ignore où j'ai trouvé la force de faire ce que j'ai fait les jours suivants, mais après ses aveux, j'ai téléphoné à ma secrétaire pour qu'elle reporte tous mes rendez-vous pendant un mois. Tout coulait de source, je n'avais qu'à me laisser glisser dans la situation qui progressait malgré moi et qui était régie par une force que je ne contrôlais pas. Même Caroline m'a encouragé à le sauver. Durant ces trente jours, je n'ai fait que m'occuper de lui dans ma maison de campagne. Quand je l'ai amené là-bas, je lui ai fait couler un bain et l'ai lavé. Il ressemblait à une loque et se laissait faire sans rien dire. Il avait beaucoup d'ecchymoses et avait le visage entièrement boursouflé. Ensuite après l'avoir enveloppé dans mon peignoir, il s'est de lui-même effondré sur mon lit. Il a dormi plus de treize heures durant lesquelles le médecin l'a examiné. Il lui a prescrit ce dont il avait besoin, surtout de la pommade pour ses contusions. À son réveil, il m'a demandé qui j'étais et pourquoi je faisais cela, alors qu'il était la honte de la marine. Je lui ai juste dit que je croyais qu'il était le meilleur officier qui soit et que j'avais jeté ses vêtements indignes de lui. Pendant tout ce mois écoulé, je l'ai servi comme j'aurais servi mon supérieur. Je devais le faire pour que je puisse essayer de guérir des révélations qu'il m'avait faites malgré lui. J'étais à son service toute la journée, même s'il ne me demandait rien. J'essayais de deviner ses besoins pour les combler afin de lui redonner le goût de vivre. Durant trois semaines, un kinésithérapeute est venu chaque jour lui faire des massages pour le revigorer. Parfois il en était gêné, mais souvent il se laissait faire sans rien dire. La dernière semaine avant que ce mois ne s'écoule, je lui ai appris mon identité. Il a été profondément vexé d'être sous mon hospitalité et suite à ma confession, il m'a ignoré pendant deux jours, puis il a fini par me demander pourquoi j'avais agi ainsi. Je lui ai répondu que je croyais au marin qu'il était et en son intégrité. Ensuite, devant mes obligations professionnelles, j'ai été obligé de repartir, mais je l'ai invité à rester chez moi aussi longtemps qu'il le voulait et  il y est resté plus de neuf mois.  Pendant tout ce temps, j'allais le voir une fois par semaine et lui téléphonais aussi souvent que je le pensais nécessaire. Peu à peu, il a réappris à vivre. J'avoue que parfois la charge était lourde, mais comme tu vois, la patience m'a récompensé. Après ces neuf mois, je me suis risqué à l'inviter à la Société, puis plus tard à embarquer sur le Zéphyr ou l'Aurore. Je savais qu'il aurait à revivre de grosses souffrances sur le navire, mais il fallait qu'il affronte le paquebot. Maintes fois, je l'ai vu rager de ne savoir tenir la balustrade, mais je l'ai laissé vivre seul ces instants, car ce n'était qu'ainsi qu'il pouvait guérir, ou tout au moins marcher sur sa souffrance physique et morale. Combien par moments, j'aurais voulu lui donner ma propre main. Moi, j'ai vécu, mais lui, il lui reste tant à vivre. On lui a volé son honneur et son titre… ce qu'il a vécu a été immonde, si tu savais ! 

 

         Michel Deveniez laisse un instant apparaître l'estafilade secrète qu'il porte en lui depuis les six ans écoulés, puis reprend amer : 

 

- Dis-moi maintenant quelle jeune fille va vouloir d'un manchot débouté de ses fonctions et qui cherche une perle rare ? Tu en connais, toi des filles qui veulent encore être protégées ? Ce garçon est devenu comme mon fils, même s'il ne l'a jamais su. J'ai mis plus de neuf mois à lui redonner la vie, je ne permettrais à personne de le salir et de lui manquer de respect tant qu'il travaillera chez moi. Sans moi, Il serait un homme mort ! Non à cause du suicide manqué, mais si je n'avais pas été là, personne n'aurait eu le culot de le réintégrer. Ce que j'ai fait pour ce jeune homme ne m'a pas été de tout repos, car, pour qu'il puisse rejoindre ma Société, il fallait qu'il soit innocenté et lavé de tout soupçon. N'ayant pas d'autres choix que de raconter toute l'histoire à mes avocats, je leur ai demandé de se battre comme des forcenés pour l'innocenter. Révoltés par l'affaire, ils ont tenu à travailler gracieusement. Le procès a duré plusieurs longs mois, mais l'acquittement a eu lieu ! Aujourd'hui, le 508 a un poste important et il gère aussi bien les deux bateaux que le personnel. En fait, il a une place privilégiée puisqu'il est mon second en mer tout comme Laurence Guennac était ma seconde en terre... 

 

         Malgré l'ampleur de la confidence que vient de lui faire Michel Deveniez, Soraya remarque le changement de temps qu'il emploie à l’encontre de sa secrétaire et s'étonne : 

- Était ? 

- Oui, reprend l'oncle, en convoquant la seule personne qu'il ne fallait pas, elle a fait une grave erreur en se laissant aveugler par votre jeu stupide. Depuis six ans que cet agent travaille ici, il s'est emmuré dans un silence à double tranchant. Dans le domaine professionnel, il est irréprochable, mais le relationnel, c'est désolant... Laurence Guennac sait mieux que personne qu'il ne supporte pas le cache-cache verbal, mais elle vous a fait vous rencontrer sachant que tu aurais été scandalisée par sa manière d'être. En réalité, il se protège simplement des autres pour éviter leurs questions. La meilleure preuve de mon estime à son égard est de le laisser forger son existence ici comme il le souhaite et je m’y emploie, crois-moi. Il refuse toute intimité. Ici, il est surnommé l'iceberg ou le monstre marin, pourtant si l'on savait combien il est précieux. Au fond, je sais que seule une femme pourrait venir à bout de ses cicatrices internes, mais il faudrait que le Dieu de ses parents lui donne celle dont il a toujours rêvée. 

- Pourquoi dis-tu le Dieu de ses parents ? 

- Parce qu'il est si profondément déçu par le genre humain et par son Dieu qui a laissé faire ça, qu'il est devenu le pire des athées. Il accuse le Dieu du ciel à la moindre occasion. La foi qu'il a placée dans son athéisme est horriblement impressionnante, elle fait presque peur. Si ce Dieu du ciel me demandait un sacrifice monétaire, je lui offrirais tout sur un autel pour redonner la main et une mémoire pure à ce fils que j'ai sauvé. Mais ça, c'est malheureusement impossible. Tu vois Sorie, si avant qu'il ne soit remis de toutes ses blessures, il ne devait plus être sous ma protection, j'en mourrais. Au début, quand il est arrivé chez Deveniez S.A., je l'ai élevé devant les autres à la moindre occasion en notifiant sans cesse qu'il était le meilleur marin de sa génération. J'ai répété cette scène tant et tant de fois, qu'il a fini par en être convaincu lui-même. Mais pour qu’il en arrive à cette certitude, des éléments essentiels ont joué un rôle prépondérant et ces derniers sont les trois gardes de sécurité qui sont aujourd’hui très proches de lui. Il n’a pas besoin d’être gardé bien sûr, mais comme à chaque étage de la Société, nous avons un  vigile, je me suis arrangé pour que trois autres soient près de son bureau au cas où il aurait besoin d’eux. C’est pour ça que tu en vois un aux caméras, un près de l’entrée et un autre qui s’occupe de tout le matériel qui entre et qui sort d’ici. Ces emplois n’existaient pas avant l’arrivée de l’agent 508, mais ces trois hommes m’ont tellement impressionné par leur fidélité envers mon fils lors de son jugement, que j’ai créé des postes spécialement pour eux afin de les honorer. En fait, tout au long de cette histoire, ces trois messieurs ont suivi l’affaire de très près au point d’être au tribunal à chaque fois où nous nous y trouvions. Je les avais remarqués, car ils ont protesté plus d’une fois lorsque le 508 était en mauvaise posture face aux avocats féroces qui ne perdaient pas une seule occasion de le descendre. Une fois que tout cela fut terminé, je me suis renseigné à leur sujet, et j’ai su qu’ils le connaissaient de réputation. De ce fait, la façon dont il avait été sali les avait répugnés au point qu’ils ont fait du combat de mon fiston le leur. 

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03/04/2013
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